Biographie

Le single incendiaire Go Go Stalin est sorti il y a déjà 37 ans

05/02/2020 2020-02-05 16:12:00 JaME Auteur : Lucy C.H. Correcteur : JBH

Le single incendiaire Go Go Stalin est sorti il y a déjà 37 ans

Rétrospective sur la carrière de The Stalin et sur la bête fauve que fut Michiro Endo #TBT


© The Stalin, Tokuma Japan Communications Co., Ltd., Political Records, BQ Records

Chers lecteurs, chères lectrices, accrochez-vous, atterrissage d’urgence imminent en plein royaume du punk, de la crasse, du scandale, du maudit et de l’improbable. Attention aux allergènes, The Stalin contient : régurgitations non simulées, jet de têtes de cochon sur le public, destruction sauvage des amplificateurs, nudité, autoérotisme et des traces de socialisme de choc. Vous l’avez bien deviné, les Sex Pistols sont des enfants de choeur à côté de Michiro Endo et de sa troupe !


Le Japon du début des années 1980 était un étrange nid de guêpes : pleine effervescence, essor économique, âge d’or de la culture manga, apparition du phénomène Nintendo, folie des jeux d’arcade, big bang technologique... mais peut-on songer à une explosion sans cratère ? La disparition tragique de la belle et vertueuse Hibari Misora, symbole de l’optimisme aveugle d’après-guerre, a laissé pénétrer quelque chose d'insoupçonné dans le monde de la musique, quelque chose qui a pris sa place furtivement. Quelque chose de sournois.


Michiro Endo, électron libre originaire de Fukushima, venait tout juste de rentrer de son service militaire en Indochine. Il frôlait la trentaine, sa patrie exultait sous un soleil de plomb, et pourtant le jeune Endo la fixait d’un regard noir. Un air de défi, une démarche vacillante qui trahissait une allure téméraire et volatile, il paraissait déjà deviner non seulement le déclin qui succéderait à la période Showa, mais aussi le sort ultime du mouvement punk à l’échelle mondiale.


En 1980, après la dissolution de son premier groupe, il forme The Stalin, nom choisi stratégiquement par celui qui se présentait, sans gêne, comme militant gauchiste. Il voulait par cela attirer l’attention sur le côté obscur du pugilat idéologique, le revers des bonnes idées, selon ses propres mots. Aux côtés de Jun, Shintaro et Atsushi, ultérieurement remplacé par Tam, puis par une horde d’autres guitaristes temporaires, il sort un premier EP, Dendou Kokeshi (en français, Poupée Électrique). La pochette de l'album ? Un imprimé explicite illustrant un phallus en train de se faire injecter de la solution anti-moustiques.


Le rythme est brutal, cru, l’audience s’habitue au blasphème mais Endo ne se laisse pas dompter par les regards étoilés au pied de sa scène. Il laisse un sillage de destruction partout où il passe, il prend des membres du public au hasard et les passe à tabac, il leur crache au visage, il tire les cheveux des jeunes femmes, il jette des abats saignants et des excréments humains dans la foule. Si quelque chose ne lui plaît pas, il quitte la scène et file vers l’izakaya le plus proche. Par un beau soir, il est placé en garde à vue pour exhibitionnisme et impudeur, et pour cause ! Il se serait entièrement déshabillé sur la scène d’un théâtre de lycée et y aurait pratiqué des actes à caractère obscène. Il va sans dire que The Stalin fut interdit de se produire dans la plupart des salles de concert de l’archipel, pour ne pas parler de toute une génération de parents, habitués aux rythmes doucereux de Momoe Yamaguchi et Kyu Sakamoto, qui vivaient dans la crainte de trouver Stop Jap parmi les possessions de leurs enfants. 


Go Go Stalin est présenté au monde en tant que single début février 1983, quelques mois avant la sortie de leur troisième album, Mushi (en français, Insecte). Il vient avec Sentensei Rodosha (en français, Laboureur Héréditaire) et Catalogue Z en face B. Un triptyque de hurlements et de citations de Marx et Engels qui culmine avec l’indémodable cri de ralliement du prolétariat. 


Dans son film autobiographique Mère, disons que j’ai déjà oublié ton visage, sorti en 2015, nous entrevoyons un Endo très différent de la bête de scène. Il rappelle, stupéfait, à quel point il avait été bouleversé par les fans qui se réjouissaient de se faire jeter des tripes et des entrailles par un jeune chanteur irascible. Des gens qui chantaient ses refrains sans frémir. Il s’attendait à qu’ils en soient chamboulés, froissés, offensés par la dimension grotesque de ses propos. A vrai dire, Endo voulait s’exprimer par la métaphore, mais son public le prenait au premier degré. Il faisait appel au sang, à la brutalité et aux ravages pour parler du monde, du genre humain, de l’inhumain. Et pourtant les visages devant lui, en extase, chantaient et dansaient, étourdis, indolents, avides d’évasion. Mais le punk d'Endo était tout sauf de l'évasion. Le punk de The Stalin était allégorie, malaise, revendication, rage, anarchie. Il haïssait la fascisation de la condition humaine, le diktat de la communication affective à la japonaise (ce qu’il appelait amour fasciste), il a adopté un style lyrique unique, qu’il décrivait comme “tanku”, amalgame de l’esprit minimaliste du poème haiku et des chars de combat (en anglais, tanks).


Le groupe se sépare en 1985, après un dernier concert intitulé I Was The Stalin, mais Endo revient sous les feux de la rampe quelques années plus tard avec Stalin, un nouveau groupe entièrement indépendant du premier, malgré les similarités. Selon le chanteur, après la chute de l’Union Soviétique, impossible de garder le silence. Il s’intéresse au mouvement syndical polonais Solidarność, qui s’oppose au régime du Parti ouvrier unifié polonais, partisan de l’idéologie marxiste-léniniste. Avec Stalin, il partira en Europe de l’Est avec son groupe en 1990 pour une tournée internationale, témoin des envies nippones d’internationalisation avant l’heure. Endo a participé à plusieurs concerts commémoratifs pendant les décennies qui ont suivi, ainsi qu’à plusieurs projets caritatifs dans la foulée du séisme qui a ravagé la ville natale en 2011, avant de se retirer de la vie publique pendant les dernières années de sa vie. Il décède le 25 avril 2019 des suites d’un cancer du pancréas. Rest in power, Mr. Endo.


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